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[Reportage] Au tribunal, prison avec sursis pour le policier consommateur de cannabis

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Militantisme maladroit, suicide professionnel ou provocation insupportable ? Le tribunal judiciaire de Pontoise condamne ce jeudi Julien*, un ex-policier, à trois mois de prison avec sursis. La justice le reconnaît coupable de consommation de cannabis, mais pas d’incitation à l’usage. En 2019, ce policier d’une brigade de proximité participait à une vidéo de l’humoriste Noman Hosni. A l’écran, on le voit fumer un joint, avec casquette et polo bleu clair de policier. Il a depuis été révoqué par sa hiérarchie.

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Pour suivre l’audience, Newsweed a rendez-vous dans la salle 2 du palais de justice de Pontoise. La présidente, Christine Campistron, s’installe à son siège. Robe noire sur le dos, comme le veut l’institution judiciaire. “Je connaissais l’émission ‘J’irai dormir chez vous’…”, commence la juge, sourire en coin. Aujourd’hui, il s’agit de l’émission “J’irai fumer chez vous”, diffusée sur la chaîne YouTube de l’humoriste. La présidente l’appelle “monsieur Oni” et le présente comme un “ambassadeur de la légalisation du cannabis”.

La Police nationale ou les syndicats de forces de l’ordre ne sont pas parties civiles dans cette affaire. Ce qui aurait pu arriver. Dans le motif de sa révocation, le Directeur général de la police nationale estime que Julien “porte atteinte au crédit” de l’institution. Le prévenu vivant à La Réunion, c’est son avocat, Bruno Illouz, qui se tient face à la présidente et à ses deux juges assesseurs.

“Je réfléchis à quitter la police”

“Ça va être rapide…, commence la juge dans son exposé des faits. La vidéo parle d’elle-même. Dans la vidéo, il sait à quoi s’attendre. Il porte son polo et sa casquette de policier. Je ne pense pas qu’il porte son uniforme tous les jours, quand il est chez lui… » La présidente demande alors à visionner la vidéo sur les télévisions prévues à cet effet. « C’est à vous de jouer, madame la greffière !”

Elle s’exécute. Au fond de la salle, cinq agents, membres de la police judiciaire, regardent la vidéo d’un œil attentif. Une dizaine de minutes plus tard, la présidente reprend : « Donc… voilà l’ambiance ! Dans son audition au commissariat, Julien déclare qu’il avait presque oublié être filmé. Il avait même l’impression d’être sur le canapé avec un ami. Visiblement, les internautes ont beaucoup apprécié la vidéo. Certains écrivent même dans les commentaires que, la prochaine fois qu’ils verront un policier, ils l’inviteront à fumer ! »

Puis, la juge balance une petite bombe. « A la fin de son audition devant les policiers, Julien déclare ne plus être très épanoui dans son travail depuis quelques mois. Il dit : ‘Venant de La Réunion, je me sens très seul et dénué de toute vie sociale. La police était une belle expérience, mais je réfléchis à la quitter. Cette vidéo était une façon pour moi d’exploser en vol, dans une forme qui me ressemble, pour quitter la police sans regrets’. »

“C’est un niveau d’idiotie…”

Pour réagir, maître Bruno Illouz s’avance devant son pupitre. Il commence à plaider avec son masque bleu ciel sur le visage qui filtre ses paroles. Il l’enlève, quelques secondes plus tard. S’ensuit alors une séance de question-réponse ultra-rapide entre la juge et l’avocat de Julien.

” – C’était quoi, un suicide professionnel ?

– Je ne veux pas faire de la psychologie de comptoir…

– Il avait conscience que faire cette vidéo en tenue de policier pouvait lui porter préjudice ?

– Il était flouté. Sa voix était modifiée, comme celle de Noman Hosni. Il pensait qu’avec ces précautions prises dans les reportages à la télévision, cela suffirait à le protéger…

– Donc il ne pensait pas être reconnu ?

– Non !

– C’est un niveau d’idiotie…

– De naïveté, je dirais.”

C’est maintenant l’heure des réquisitions du parquet. La procureure de la République se lève. Elle salue les agents de police judiciaire, au fond de la salle. « Je suis très contente d’avoir autant de policiers présents. A bon entendeur, salut ! Quand on est policier, on a un devoir de réserve. Chacun a ses opinions, mais il est tenu de les garder pour lui. Et de ne surtout pas les partager sur une chaîne YouTube !, s’indigne la magistrate. Je demande donc six mois de prison avec sursis, et une peine d’amende de 1000 euros. »

“Une manière maladroite de faire passer un discours”

Pour conclure l’audience, Bruno Illouz se lance dans une longue plaidoirie. Il commence par plaider la nullité de la procédure, pour incitation à la consommation de cannabis. En clair : le tribunal ne peut pas poursuivre Julien pour incitation, car les éléments de procédure n’ont pas été respectés. Selon lui, le parquet aurait dû poursuivre, en premier lieu, Noman Hosni, car il est le directeur de la publication de sa chaîne YouTube. C’est l’ordre prévu dans le droit de la presse, et M. Illouz considère que ce code s’applique au numérique. Donc à YouTube.

Ensuite, maître Illouz s’attaque au fond du dossier : le cannabis. L’axe principal de défense ? La légalisation de la substance, à travers le monde. Cet avocat, qui se définit comme un « militant anti-prohibitionniste de longue date » cite les exemples allemand, britannique, italien, américain, mais aussi le dernier rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) français. Un Conseil qui n’est pas, selon lui, “un club de rigolos”. La juge le fixe droit dans les yeux, l’écoute attentivement.

« En clair, et en résumé, conclut le pénaliste parisien, vous avez un débat de fond qui traverse l’ensemble des pays démocratiques comparables à la France. Ceux-ci ont décidé d’abandonner la lutte contre le cannabis. Rapporté à mon client, c’est une manière maladroite, naïve, de faire passer un discours. D’une certaine façon, avec cette vidéo, certains pourront se dire que les policiers ne sont pas des personnes avec des œillères. C’est quelqu’un qui était sans histoire, et décide à sa façon de militer. Je vous demande de ne pas l’enfoncer. Il a déjà perdu son travail. »

“Je comprends la peine”, estime Julien

La présidente et ses deux assesseurs se retirent pour délibérer. Tout le monde se lève. C’est la règle dans les palais de justice. A leur retour, le jugement est prononcé à toute vitesse par la présidente. “Le tribunal condamne Julien à trois mois de prison avec sursis. La nullité plaidée pour incitation à la consommation est retenue.” Le tribunal refuse, par contre, de retenir la demande de l’avocat, de ne pas faire mention de la consommation de cannabis dans son dossier. Le jugement ne condamne pas Julien à une amende, contrairement aux 1000€ réclamés par la procureure de la République.

“Trois mois avec sursis c’est une peine minimale quand on passe devant un tribunal correctionnel, donc je ne vais pas me plaindre, estime Julien depuis La Réunion, joint au téléphone par Newsweed. Pour un joint de cannabis, ça peut paraître sévère. Mais il ne faut pas oublier que je portais l’uniforme, donc je comprends la peine.” Julien dit maintenant vouloir “faire profil bas” car il “essaie de refaire [sa] vie à La Réunion.”

En réfléchissant à toute cette affaire, née il y a presque deux ans, il conclut : “Cette vidéo n’était pas du tout préméditée. Mon but n’était pas du tout de me faire virer. C’était bête de penser que je ne serai pas reconnu.”

*Julien souhaitant garder l’anonymat, son prénom a été modifié.

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