Cannabis médical
« Réalisable et opérationnel » : ce que dit le rapport sur l’expérimentation du cannabis médical
Le 26 septembre dernier, le ministère de la Santé aurait dû remettre aux députés un rapport d’évaluation de l’expérimentation du cannabis médical.
A cette date, nous apprenions que le ministère avait bien entre ses mains trois rapports réalisés en externe mais préférait consolider les « éléments récemment reçus » puis les porter « à la connaissance du Parlement dans le cadre des débats sur le PLFSS 2023 » à la mi-octobre.
Si les rapports faits « en externe » l’ont été en temps et en heure, le ministère a de toute façon préféré anticiper sur sa communication et conclure directement à une prolongation de l’expérimentation. Les différents rapports soutiennent toutefois la réussite de l’expérimentation et l’attente de la généralisation par les patients inclus dans l’expérimentation, pour eux et pour les autres.
Quelques statistiques issues du rapport
Le premier rapport, réalisé par l’entreprise IQVIA, fait 163 pages et étudie par le menu l’expérimentation : rapidité, typologie, circuit et quantité de prescription, âge et localisation des patients traités, satisfaction des médecins et des pharmaciens…
Ce rapport commence par rappeler les objectifs de l’expérimentation française du cannabis thérapeutique :
- évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis médical sur l’ensemble des étapes du parcours de prise en charge : l’inclusion du patient, la délivrance du cannabis et le suivi du patient
- recueillir les premières données sur l’efficacité de l’utilisation du cannabis dans un cadre médical.
Ce rapport insiste sur ce dernier point : « Il est important de rappeler que cette étude n’est pas une évaluation de l’efficacité du cannabis à usage médical » même si elle a été nécessairement mesurée.
Au 31 mars 2022, un total de 1450 patients a été inclus dans l’expérimentation. 69 % d’entre eux sont toujours inclus, soit un total de 1036 patients. 28 % des patients sont sortis, et les 3 % restants sont en passe d’y entrer.
Au sein des 1450 patients inclus et sortis de l’expérimentation, plus de la moitié d’entre eux sont inclus pour l’indication « douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles » (51%). La seconde indication la plus présente est la « spasticité douloureuse de la sclérose en plaques » (15%) suivie de l’indication « certaines formes d’épilepsie pharmaco-résistantes » (13%). L’indication la moins représentée est la « spasticité douloureuse des autres pathologies du système nerveux central » (4%).
Sur les 1450 patients, 414 (28 %) sont sortis de l’expérimentation dont 38 % pour effet indésirable, 37 % pour inefficacité du traitement et 15 % pour décès.
Concernant les premiers résultats sur l’efficacité, des résultats encourageants ont été recueillis pour certaines indications et aucune aggravation n’a été observée. Des améliorations significatives ont notamment été mises en évidence pour les patients atteints de douleurs neuropathiques ou pour les patients atteints d’une spasticité douloureuse de la sclérose en plaques, avec une amélioration de la spasticité et une diminution du nombre de spasmes.
Des résultats sont également positifs pour les indications « oncologie » et « situations palliatives ». Par exemple, pour les patients inclus et sortis dans l’indication « oncologie », les résultats indiquent une amélioration ressentie (légère, importante et très importante) pour 52% des patients, dont 19% témoignant d’une amélioration importante et très importante après 3 mois de suivi. Les résultats sont plus mitigés pour l’indication « spasticité douloureuse des autres pathologies du système nerveux central ».
Conclusion du rapport d’IQVIA
Le premier rapport conclut par une note positive sur l’objectif principal de l’expérimentation :
« Les résultats issus des données du registre et les informations qualitatives obtenues grâce aux entretiens avec les acteurs de terrain ont permis de valider la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis médical pour la majorité des étapes ».
Les lacunes reposent sur le circuit de prescription en ville, c’est-à-dire la prescription par un médecin généraliste puis distribution en pharmacie plutôt que par un médecin spécialiste et une pharmacie située au sein d’un établissement hospitalier, qui a été très peu développé.
« Au regard de ces conclusions, l’évaluation réalisée ici permet de répondre à l’objectif principal de l’expérimentation à savoir que le circuit de mise à disposition du cannabis médical pour les patients français est réalisable et opérationnel dans les conditions définies et mises en place en pratique. »
Concernant l’efficacité du cannabis médical, qui n’est pas l’objectif de l’expérimentation, le rapport conclut à un suivi trop court et un nombre modeste de patients, tout en rappelant que l’expérimentation n’a pas été modelée pour faire remonter les données d’efficacité.
L’ANSM n’a relevé, dans un deuxième rapport sur la pharmacovigilance, aucun point sensible notable à la dispensation de cannabis médical.
Qu’en disent les patients de l’expérimentation ?
1630 patients inclus dans l’expérimentation ont été interrogés par l’entreprise ViaVoice et 725 ont répondu. Leurs retours ont été consignés dans un troisième rapport « Parcours et perception des patients ».
68 % des répondants ont perçu des effets bénéfiques, dont 32 % qui en ont perçu « beaucoup », au niveau de leur état de santé mais également liés à leur qualité de vie.
Les patients relèvent une nette satisfaction vis-à-vis de leur prise en charge médicale depuis leur inclusion dans l’expérimentation : une note moyenne de 8,2 sur 10 et 51 % des répondants qui attribuent une note de 9 ou 10.
En ligne avec les résultats précédents, les enquêtés interrogés lors de la phase qualitative – 13 entretiens au téléphone – se positionnement majoritairement en faveur de la généralisation du cannabis médical, que le traitement ait fonctionné pour eux ou non, selon un principe de « recommandation » : « si ça peut aider des personnes qui souffrent ».
Ceux pour qui le traitement est vu comme efficace sont d’autant plus favorables à la généralisation du cannabis médical, et ce de manière très tranchée, puisque ce traitement est devenu essentiel à leur quotidien.
Dans l’hypothèse d’un arrêt de l’expérimentation, si les patients ne pouvaient plus avoir accès au traitement de cannabis médical, certains envisageraient de consommer du cannabis de manière illégale.
Les retours d’expérience notent finalement que « le cannabis médical constitue pour certains patients un traitement dont ils ne peuvent plus se passer, pour lequel il n’existe pas d’alternative, avec une certaine inquiétude vis-à-vis de la suite de l’expérimentation ».
Pourquoi le ministère veut prolonger ?
A partir de ces rapports faits en externe, le ministère de la Santé en tire un rapport final de 13 pages. Sautons tout de suite aux conclusions :
- Une expérimentation positive qui tend à confirmer la faisabilité du circuit de prescription et de délivrance du cannabis pour les patients (objectif principal de l’expérimentation)
- Des données manquantes que n’a pu fournir le Système National des Données de Santé (SNDS) « en raison d’un programme de travail extrêmement chargé sur de nombreuses autres priorités ministérielles »
- Un manque de participation des médecins généralistes
- Un nombre de patients enrôlé inférieur aux 3 000 imaginés (ndlr: qui n’était pas un objectif à atteindre)
- L’absence de travail sur la définition d’un statut pour les produits utilisés lors de l’expérimentation et sur leurs modalités de prise en charge en cas de généralisation (ndlr : discussion qui a commencé en 2018)
Si l’on voulait s’attacher à montrer la bonne foi du ministère de la Santé, on regarderait l’amendement que la majorité présidentielle présente pour prolonger l’amendement. Il y manque toutefois un engagement du gouvernement à vouloir légaliser le cannabis médical à grande échelle à l’issue de l’éventuel report.
Plusieurs sources, qui tiennent toutes à rester anonymes, nous confient d’ailleurs que le ministère de la Santé n’aurait pas pour priorité de mettre à disposition du cannabis médical aux patients français et nous font part de différents blocages au sein de la Direction Générale de la Santé.
Interrogée plusieurs fois, la DGS « revien[t] vers [n]ous prochainement avec une réponse ».
Le ministère oublie également et subitement de préciser qu’il invoquait récemment la nécessité de construire une filière française et le risque de prise de positions d’acteurs étrangers sur le marché qui aujourd’hui ont bon dos à fournir gratuitement du cannabis médical. Que se passerait-il s’ils refusaient de continuer à fournir du cannabis médical gratuitement à 3000 patients « en file active » comme le demande le ministère ?
Et finalement, pourquoi ne pas généraliser dès aujourd’hui et donner toutes les clés de réussite aux actuelles et futures entreprises françaises désireuses de fournir des médicaments à base de cannabis aux patients ?
Une question que nous avions posée à Santé Cannabis France, qu’un communiqué positionnait en faveur d’un prolongement de l’expérimentation, et qui n’a pas souhaité faire apparaitre sa réponse dans nos colonnes. Elle nous précisait toutefois récemment s’être « constamment mobilisé[e] aux côtés des associations de patients, pour demander aux autorités françaises d’accélérer la définition du cadre réglementaire ».
Comprenons finalement que le ministère de la Santé veut donner du temps au temps, quitte à laisser des personnes malades en impasse thérapeutique sans solution ou pour certains se fournir au marché noir.
Si la France cherchait réellement des données d’efficacité (ou d’inefficacité) du cannabis médical pour se donner de bonnes raisons de légaliser le cannabis médical, il est probable qu’elle puisse se tourner vers les autres pays qui produisent ou prescrivent déjà massivement du cannabis médical : Israël, le Canada, l’Australie, l’Allemagne, les Pays-Bas ou 33 Etats aux Etats-Unis.