Que comprendre des dernières perquisitions de boutiques CBD ?
“On ne peut rien faire, ça vient d’en haut.” Telle a été l’explication donnée par des policiers désolés d’avoir à passer du temps sur des perquisitions de fleurs de chanvre à certains des 4 magasins inquiétés la semaine dernière.
Alors que plus de 100 magasins vendent désormais du cannabis CBD, sans compter les buralistes qui ont lancé leur propre gamme et qui pourraient multiplier facilement ce chiffre par 10, comment comprendre ces dernières perquisitions ?
Au début étaient les “coffeeshops”
Lorsque Cofyshop s’est fait perquisitionner, la surprise n’était pas si grande : la couverture médiatique suscitée par le “premier coffeeshop” de Paris a fait peur.
L’occasion était trop belle pour l’Etat français de rappeler sa position sur le cannabis. Et puisque la plupart des produits ont été relevés sous la barre des 0,2% de THC, il lui reste un article de loi très pratique, “la provocation à l’usage de stupéfiants”.
Plusieurs magasins parisiens voguant autour du CBD se sont également fait visiter la même journée par une personne se présentant comme “de la Préfecture”. Simple vérification ou repérage ? Un magasin du 11ème arrondissement s’était en tout cas vu décerner une mention Très Bien pour ses fleurs, non visibles de la rue, sous paquet opaque. Mais l’approbation officieuse n’aura pas duré.
L’escalade
Au fur et à mesure des perquisitions, les méthodes ont évolué : de la “simple” fermeture, les Stups sont passés à une mise sous scellés, nécessitant une décision du Parquet pour la réouverture, longue à obtenir, et un blocage des comptes bancaires.
L’objectif est clair : empêcher la réouverture du point de vente. Le passé des commerçants est scruté à la loupe, leurs actifs comptabilisés, leur domicile fouillé.
Les chefs d’accusation tournaient au début autour du trafic de stupéfiants lorsque les taux dépassent les 0,2%, et pour incitation dans le cas contraire. Sur cette dernière rafale de perquisitions, tous sont poursuivis pour infraction à la législation des stupéfiants, passible de 10 ans d’emprisonnement et de 7 500 000€ d’amende, même si le taux de THC est inférieur à 0,2%, même s’ils ne vendent pas de fleurs mais des produits alimentaires contenant du CBD, en plus de l’être pour provocation à l’usage de stupéfiants.
On pourrait ironiser qu’il est aujourd’hui moins risqué de tenir des fours à Montreuil que de tenter de vendre des fleurs CBD, s’il n’y avait pas la vie pro et perso d’entrepreneurs en jeu.
Que comprendre ?
Autant la première vague de perquisitions était lisible, autant celle-ci nous laisse circonspect. 4 magasins se sont fait perquisitionner :
- Bestown Paris : seul magasin de la franchise à s’être fait fermer
- Root’s Seed : un magasin de graines et de produits dérivés au CBD, dont des fleurs
- Hemp Concept : le magasin de Montpellier s’est déjà fait saisir ses fleurs, qui lui ont été rendues, avec un abandon des poursuites
- Canna Coffee : un “bar à café” qui vendait des cookies au CBD et du café infusé, mais pas de fleurs
Comment comprendre que le Parquet de Paris ouvre des enquêtes à tout va alors qu’en région les réponses sont différentes ? Pourquoi taper sur un café ? Sur des magasins qui avaient déjà été visités par les forces de l’ordre pour contrôler les produits, sans poursuites ? Une entreprise qui a déjà attesté de la légalité de ses produits dans le sud de la France ?
La Police et la Justice ont-elles tant de temps que ça à accorder à des entrepreneurs vendant des fleurs non-stupéfiantes ou des cookies ?
Des pistes confuses
De notre côté, nous avons creusé. Il semblerait donc que :
- L’Intérieur ou la Santé ont sorti la Grosse Bertha pour mettre le holà sur la vente de fleurs de chanvre et tapent partout, principalement à Paris.
- Les Douanes auraient pour consigne de bloquer tant qu’elles peuvent les paquets de fleurs en vrac. Nous avons fait un test et avons réussi à faire dédouaner 200g de fleurs de chanvre venant de Suisse. Pour les livraisons individuelles, quasiment tout passe. Il n’y a donc pas de règle.
- La MILDECA a reconnu à plusieurs reprises que son “rappel à la loi” sur le CBD et la fleur de chanvre n’était qu’une position officielle et pas une position juridique. Le “rappel” devait d’ailleurs être appuyé par tous les ministères, mais la MILDECA s’est faite lâcher au dernier moment. Elle aurait néanmoins saisi l’importance de mettre un cadre réel autour du chanvre, dont l’instabilité juridique pourrait peser sur toute la filière.
- Sur le terrain, les forces de l’ordre sont plutôt satisfaites de l’ouverture de ces magasins qui pourraient alléger 60% de leur travail quotidien : la course au “shiteux”.
Les risques
L’alerte avait été envoyée plusieurs fois par différents acteurs : puisque le gouvernement tarde à avancer sur le marché du cannabis, tôt ou tard le marché le ferait à sa place. Et si cela a commencé par les produits dérivés du CBD, l’exemple des fleurs CBD atteste de l’incapacité des instances dirigeantes à écouter les remontées d’informations terrain et à réguler à temps.
Le principal risque aujourd’hui serait une régulation trop simple : par exemple interdire le commerce privé de fleurs et de CBD, et distribuer les deux respectivement aux buralistes et aux pharmacies, en écartant un marché évident de confort et de bien-être.
Espérons pour la filière chanvre française que les vacances portent conseil.
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