Le Maroc va-t-il finalement légaliser le cannabis médical ?
Nous le rapportions la semaine dernière, le Maroc, premier producteur de cannabis pour l’Europe, a présenté jeudi un projet de loi pour légaliser le cannabis médical. Si le projet est porté par le Gouvernement qui semble décider à faire avancer ce dossier vieux d’un siècle, rien n’est définitivement acté pour le moment.
Le projet de légalisation du cannabis médical au Maroc
Le projet de loi, très strictement circonscrit aux usages médicaux et industriels, prévoit la création d’une agence de régulation des activités liées au cannabis, l’Agence nationale de réglementation des activités relatives au chanvre indien, qui aura son siège à Rabat et pourra s’installer dans les régions ou provinces marocaines en fonction des besoins.
Cette institution déploiera la stratégie du gouvernement marocain en termes de culture du cannabis, sa transformation, sa commercialisation, son exportation ou son importation pour des besoins médicaux, pharmaceutiques ou industriels. Elle sera seule compétente pour délivrer ou retirer les autorisations de cultiver la plante, et pourra mener des missions d’inspection et même prendre des sanctions contre ceux qui violeraient la future législation.
Le projet de loi légaliserait également l’usage thérapeutique du cannabis, limitant la production aux volumes « nécessaires pour l’aspect médical, pharmaceutique et industriel » et à des régions précises. Il serait également exigé des cultivateurs agréés de cannabis d’intégrer des coopératives agricoles et de vendre exclusivement leur production à des sociétés autorisées.
Le demandeur doit également être propriétaire d’une parcelle de terrain, ou être autorisé (par le propriétaire) à cultiver la résine de cannabis. S’agissant des autorisations liées à l’import et l’export, le demandeur doit disposer d’un lieu de stockage sécurisé et surveillé, alors que le système d’autorisation inclut aussi la mise en place et l’exploitation des pépinières du cannabis en plus de l’export et l’import des semences et plants de cette culture.
En outre, l’Agence sera la seule interlocutrice des organismes internationaux.
Les réactions
Le dossier ne date pas d’hier, mais la rapidité avec laquelle le gouvernement marocain a annoncé son intention de légaliser a surpris tout le monde. Kenza Afsahi, maîtresse de conférence en sociologie à l’Université de Bordeaux et chercheuse au Centre Emile Durkheim, a accueilli la nouvelle très positivement.
« Au Maroc, nous avons un gros enjeu de production illégale de cannabis, dans le Rif, où des centaines de milliers de paysans, en tout début de filière, n’en tirent pas suffisamment de bénéfices économiques et sociaux. La prohibition de ces dernières décennies a créé énormément de dommages les maintenant dans la marginalisation, la précarité et un climat de peur généralisé à cause des poursuites judiciaires. Elle a aussi stigmatisé le Maroc qui a subi de nombreuses pressions internationales, notamment de l’Europe, pour réduire les surfaces de culture de cannabis alors même que les Protectorats français et espagnol ont joué un rôle dans le développement de cette culture. »
Le projet de légalisation aura une vocation économique mais surtout sociale, notamment pour sortir les cultivateurs historiques qui ont un environnement et un climat propices à la culture de cannabis, des savoirs ancestraux, mais travaillent pour le marché noir.
« Il y a une urgence, les paysans souffrent d’une dégradation de leur environnement, accentuée par la multiplication des variétés hybrides introduites et celle de nouvelles techniques de culture inadaptées ou mal assimilées » nous explique Kenza Afsahi.
« Celles-ci ont augmenté la pression sur la terre déjà fragilisée par l’intensification de la culture et l’exploitation de la force de travail, y compris celles des femmes très impliquées dans la culture alors qu’elles n’en tirent pas de revenus directs. Ces variétés plus rentables sur le court terme demandent plus d’entretien, plus d’eau, plus d’engrais, etc. Elles ont également généré un nouveau marché de semences, gratuites auparavant. De surcroît, le contexte politique et économique a changé : le haschich marocain subit une concurrence européenne liée à l’augmentation de la culture domestique, du changement des préférences des consommateurs en faveur de l’herbe, de l’émergence de nouveaux marchés légaux… »
Les cultivateurs sont, eux, encore sceptiques et regrettent qu’il n’y ait pas eu de concertation, selon plusieurs témoignages recueillis par H24Info, un média marocain.
« Serons-nous formés et accompagnés ? L’agence aura-t-elle un monopole et qui nous garantit qu’elle ne sera pas privatisée par la suite ? », s’interroge ainsi Hassan, qui craint que « les véritables bénéficiaires soient ceux qui sont le mieux préparés ».
Khalid Mouna, anthropologue, chercheur et auteur notamment de l’ouvrage de référence « Le bled du kif: économie et pouvoir chez les Ketama du Rif », explique que « ces peurs sont légitimes ». « Certains acteurs n’y trouveront pas leur compte, car selon quelques commentaires de cultivateurs que j’ai déjà reçus, la légalisation va les plonger dans des logiques bureaucratiques et étatiques, présentes dans tous les secteurs d’activité et qu’ils ne maîtrisent pas forcément », affirme le chercheur.
Prochaines étapes
Avant d’aller plus loin, le texte devrait être complété et approuvé lors du prochain conseil des ministres, le 4 mars. Parmi les points en suspens, les provinces concernées par la production légale de cannabis médical ne sont pas encore listées.
Les modalités d’attribution des autorisations régissant la culture ainsi que les formalités d’approvisionnement des semences et plants agrées par l’agence nationale devront également être décidées. À cela s’ajoutent la détermination du cahier des charges à respecter pour la production en plus du seuil légal du THC s’il venait à être limité.
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