Cannabis en France

L’Académie de pharmacie met son veto à la légalisation du cannabis

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Dans un communiqué publié fin avril, l’Académie nationale de pharmacie s’oppose fermement à une dépénalisation du cannabis : « une légalisation serait un très mauvais message adressé à la jeunesse de notre pays, et ses conséquences seraient catastrophiques en termes de santé publique, spécialement dans notre pays caractérisé par une consommation record en Europe ». Décryptage.

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Qu’est-ce que l’Académie nationale de pharmacie ?

L’Académie nationale de pharmacie (ANP) est une société savante composée de 250 membres et de 80 correspondants à l’étranger, la plupart pharmaciens, et qui s’occupe des questions d’hygiène et de santé publique. La description qu’en donne Wikipédia ressemble fortement à l’équivalent de l’Académie française pour la pharmacie. Qui a dit des vieux croulants dans un hémicycle fermé ?

Quels sont ses arguments ?

Bien que la bibliographie du rapport soit bien documentée, certains arguments ont de quoi étonner.

1/ Augmentation de la puissance du produit

L’ANP relate l’augmentation réelle de la concentration de THC dans le cannabis entre les années 1993 et 2014, et part de ce constat pour dire :

« Certains font de cette augmentation des teneurs un argument pour la dépénalisation mettant en avant qu’elle sera contrôlée dans les produits vendus. Il n’en est rien puisque dans les pays qui l’ont adoptée, il est constaté une expansion de l’autoculture qui n’est jamais contrôlée. »

Le cannabis vendu en dispensaire est bien contrôlé, autant au niveau de sa puissance que des pesticides utilisés pour sa culture. Le Colorado révise par exemple très souvent sa politique de pesticides pour ne pas faire courir de risques à ses consommateurs.

L’autoculture est également contrôlée, notamment avec un nombre de pieds limités par personne, et dans certains pays une déclaration auprès d’un bureau national, comme pour les Cannabis Social Clubs. Les contrevenants sont généralement punis et jugés avec un statut de trafiquant, et se confrontent alors à de lourdes peines.

L’ANP ne nous dit d’ailleurs pas en quoi l’augmentation de la concentration en THC est dangereuse. Mais bon, passons…

2/ Cannabis comme facteur d’accidents

Conduire défoncé ou bourré est dangereux. L’alcool est-il pour autant interdit ? Étant donné que la consommation de cannabis augmente en France, le nombre de personne conduisant sous stupéfiants croit également. Au Colorado, on recense seulement 40 arrestations supplémentaires pour conduite sous stupéfiant entre avant et après la légalisation.

Notons qu’en France, le nombre de tués sur les routes passe de 16 000 en 1970 à 4 000 en 2010. Durant la même période le cannabis s’est répandu. L’Etat dispose désormais de tests pour déceler la conduite sous cannabinoïdes, qui se révèlent positifs si vous avez fumé dans les 12 heures.

Au Colorado, les statistiques montrent aussi que le nombre d’accidents n’a pas augmenté depuis la légalisation de la weed.

Par ailleurs, pour reprendre la comparaison avec l’alcool, le cannabis augmente le risque d’accidents de la route par 1,4 alors que l’alcool le multiplie par 4.

Edit du 16/05 : Washington, contrairement au Colorado, a vu son nombre d’accidents impliquant des conducteurs ayant du THC augmenter. Précision de la fondation à l’origine de l’étude : le cannabis n’est pas forcément à l’origine de l’accident, mais les conducteurs avaient bien du THC dans le sang.

3/ Le cannabis peut perturber la maturation cérébrale

L’ANP enfonce une porte ouverte. Toutes les études scientifiques se rejoignent là-dessus : le cannabis affecte le développement du cerveau avant 21 ans. D’où la nécessité de prévention en milieux scolaire et professionnel. La loi française, à la base de la prohibition du cannabis, interdit actuellement ces mesures sanitaires.

Par ailleurs, les différentes légalisations aux Etats-Unis qui ont commencé il y a plus de 20 ans, n’ont pas créées une génération de défoncés. Au Colorado, le nombre d’adolescents ayant consommé du cannabis a baissé entre 2011 et 2013, de 22 à 20%, alors que l’Etat légalisait le cannabis médical.

4/ Risques pour la santé

Scchyzophrénie, diminution irréversible du QI, escalade vers des drogues dures, complications vasculaires, baisse de la libido. L’ANP n’y va pas avec le dos de la cuillère. Que sait-on vraiment de tout ça ?

Pour le QI et l’escalade vers des drogues dures, ces vieux poncifs ont été démontés maintes et maintes fois. Pour la théorie de la drogue passerelle, vous pouvez regarder ici, pour le QI, .

L’usage intensif et de longue durée diminue en revanche les niveaux de dopamine dans le cerveau, provoquant possiblement des troubles de l’attention et de la mémoire.

Concernant la schizophrénie, l’ANP linke une étude sur des patients sains et des patients schizophrènes. La maladie ne serait donc pas créée par le cannabis mais amplifiée par sa consommation. Toujours bon à savoir, mais ça n’en fait pas un argument massue.

Quant aux complications vasculaires, sont-elles dues au cannabis ou au tabac inhalé avec le cannabis ? Le cannabis a tendance à engendrer une légère tachycardie. Dans le cadre d’une vie saine, cette tachycardie pourrait-elle à terme déclencher des infarctus ? L’ANP ne développe pas assez pour que nous soyons en mesure de juger et ne rapporte pas d’études révélatrices de cette corrélation.

Sur la libido et la baisse de la fertilité, certaines variétés comme le Sexxpot sont vendues comme stimulateurs de libido. Le constat n’est donc pas sans appel.

La fumée de cannabis posséderait également un pouvoir cancérogène supérieur à celui du tabac. Sans doute au 18ème siècle. Une étude publiée dans le Journal of the American Medical Association en 2012 montre le contraire.

L’ANP rapporte aussi que le cannabis est rendu responsable d’une variété agressive du cancer du testicule. On aurait juste aimé un lien pour comprendre d’où ça sort.

5/ Un constat catastrophique

La publication de l’ANP finit par : « Dans les pays ayant légalisé l’usage du cannabis, le constat est catastrophique ». Avec les points suivants, que nous commentons à chaque fois :

  • banalisation du produit et augmentation du nombre de nouveaux usagers (aux États-Unis, la comparaison inter-états indique que la prévalence d’usage est plus importante dans les états ayant légalisé que dans les autres) > l’augmentation statistique du nombre d’usagers est en partie due aux personnes « sorties du placard » et qui osent déclarer qu’elles consomment du cannabis maintenant que c’est légal, alors qu’elles se cachaient avant. L’augmentation de la consommation affecte d’ailleurs davantage les 35 ans et +, et la consommation chez les jeunes diminue
  • augmentation du nombre de personnes dépendantes > en pourcentage, le nombre de personnes tourne toujours autour de 10%. Si le nombre total de consommateurs augmente (voir point au-dessus), le nombre de personnes dépendantes aussi. C’est mathématique. Pas sûr qu’il faille un Bac+7 pour le comprendre.
  • accès plus facile à des variétés nouvelles et plus concentrées en principe actif (THC) > Yep. Et ?
  • augmentation du risque de passage à d’autres drogues dures > Toujours pas
  • explosion de l’autoculture et développement de nouveaux modes de consommation > Yep. Et ?
  • augmentation du nombre d’hospitalisations pour intoxications aiguës et chroniques > Effectivement. Le cannabis légal est un produit nouveau. Comme les premières cuites, les consommateurs doivent apprendre à connaitre leur tolérance au cannabis. Seul point rassurant : le cannabis n’est pas mortel.
  • augmentation du nombre de cas d’ingestion accidentelle par des enfants > Vrai aussi. Le Colorado a d’ailleurs aussitôt légiféré pour rendre les portions de space-food moins accessibles et moins désirables et limiter à 10mg la quantité de THC par portion.
  • augmentation du nombre d’accidents de la route liés au cannabis > Sauce ?

Conclusion

A part se demander qui a commandé ce rapport, et quelles sont les personnes qui ont influencé son écriture, ce rapport nous fait peur.

Peur parce qu’il est manifestement orienté contre l’utilisation médicale du cannabis.

Peur parce qu’il ne fait aucune mention des progrès scientifiques en terme de cannabis médicinal à travers le monde, ni à l’élaboration de médicaments soignant ou soulageant certaines pathologies, traitées habituellement avec des médicaments classiques qui soit ne sont pas efficaces, soit possèdent des effets secondaires que n’a pas le cannabis.

Peur parce qu’il demande à intensifier la lutte contre le trafic et la prévention (chose honorable), mais sans comprendre que, à la lumière de notre expérience française de bientôt 100 ans et des pays qui ont depuis légiféré sur le cannabis, la prohibition empêche de le faire efficacement.

Peur parce que la conclusion est : « La preuve est désormais établie que l’on meurt du cannabis, ce n’est donc pas une drogue douce ». Les chiffres indiquent aussi que l’alcool et la cigarette tuent plus que le cannabis. On aimerait dès lors beaucoup que l’ANP demande l’interdiction de l’alcool et de la cigarette, sur la base du même constat. Ou c’est encore une histoire de « terroir français » à protéger ?

Si l’Académie nationale de pharmacie veut nous contacter pour nous expliquer chaque point de son rapport en détails, nous sommes à sa disposition.

Théo Caillart et the watcher

 

 

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