Des experts de l’ONU appellent à la fin de la “guerre contre la drogue”
Dans une déclaration publiée vendredi 23 juin, un groupe de représentants des Nations unies et d’experts des droits de l’homme ont appelé à la fin de la “guerre mondiale contre la drogue”.
À l’occasion de la Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues (2023), l’organisation préconise un changement radical dans la manière dont les pays du monde entier abordent la politique en matière de drogues, en mettant l’accent sur la santé et les Droits de l’homme, plutôt que sur la criminalisation.
Les experts, parmi lesquels figurent plusieurs représentants du Conseil des droits de l’homme, soulignent que les politiques actuelles affectent de manière disproportionnée les groupes marginalisés et les minorités ethniques, en particulier les personnes d’origine africaine, les peuples autochtones, les femmes et les personnes qui s’identifient comme LGBTIQ+.
La “guerre contre la drogue” peut être considérée dans une large mesure comme une guerre contre les personnes”, peut-on lire dans la déclaration.
“Son impact a été le plus important sur les personnes vivant dans la pauvreté, et elle se superpose souvent à la discrimination visant les groupes marginalisés, les minorités et les peuples autochtones.”
Dans plusieurs pays, la “guerre contre la drogue” a été plus efficace en tant que système de contrôle racial qu’en tant qu’outil de réduction des marchés de la drogue… Les lois pénales et l’utilisation punitive de sanctions administratives et autres stigmatisent des populations déjà marginalisées”.
Aux Etats-Unis, les Noirs sont 9 fois plus susceptibles que les Blancs d’être poursuivis pour possession de cannabis. Par ailleurs, une étude récente financée par le gouvernement a révélé que les Australiens aborigènes étaient plus susceptibles d’être accusés d’une infraction liée au cannabis que le reste de la population.
Les Nations unies soulignent également que la criminalisation et l’incarcération empêchent les gens d’accéder aux soins et à l’aide dont ils ont besoin. Selon ses propres données, seule une personne sur huit souffrant de toxicomanie a accès à un traitement approprié.
“La criminalisation entraîne des obstacles importants à l’accès aux services de santé (y compris pour le VIH et les soins palliatifs) et d’autres violations des droits de l’homme”, poursuivent les experts.
“Comme le demande la position commune du système des Nations unies sur les questions liées à la drogue, la consommation et la possession de drogues à des fins personnelles devraient être dépénalisées de toute urgence. La consommation de drogue ou la dépendance ne constituent jamais une justification suffisante pour détenir une personne”.
Ils concluent : “Nous demandons instamment aux États membres et aux organismes internationaux de remplacer leurs politiques actuelles en matière de drogues par des politiques fondées sur les principes de l’application d’une approche de justice globale, réparatrice et réintégrative. Des mesures efficaces, basées sur la communauté, inclusives et préventives sont tout aussi importantes”.
Le rapport européen sur les drogues souligne la nécessité d’une réforme
Cette déclaration intervient la semaine suivant la publication du dernier rapport européen sur les drogues, qui met en évidence la prévalence de la consommation de drogues et les tendances dans toute l’Europe.
Selon les conclusions de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), le cannabis reste la drogue illicite la plus couramment consommée en Europe, avec environ 8% (22,6 millions) d’adultes européens (âgés de 15 à 64 ans) estimés en avoir consommé au cours de l’année écoulée.
Le nombre d’infractions liées à la consommation ou à la possession de cannabis a également augmenté, les saisies de cannabis ayant atteint leur niveau le plus élevé depuis dix ans, tandis que le cannabis serait à l’origine de près d’un tiers de toutes les admissions en traitement de la toxicomanie.
Les résultats ont conduit à de nouveaux appels aux décideurs politiques pour qu’ils répondent au besoin de réforme, le cannabis restant largement disponible sur tout le continent et de nouveaux produits fabriqués à partir de cannabinoïdes semi-synthétiques, tels que le HHC, devenant également de plus en plus accessibles.
Kenzi Riboulet-Zemouli, chercheur en politique internationale en matière de drogues, affirme que le rapport renforce l’importance d’adopter une “approche préventive de réduction des risques”.
Les recherches menées par l’OEDT ont montré que les tendances en matière de consommation de cannabis ne sont pas liées aux changements de politique ou de législation, qu’il s’agisse d’une pénalisation plus ou moins importante.
“Les gens consomment du cannabis pour une série de raisons qui, dans l’ensemble, sont peu affectées par les changements législatifs ou par une présence plus ou moins importante de la police dans leur vie”, a-t-il déclaré à Cannabis Health.
“L’augmentation du nombre de policiers rend la vie des consommateurs de cannabis plus difficile, mais n’affecte pas leur consommation. Elle ne fait que la rendre plus risquée.”
“Cela ne fait que renforcer le rôle de la prévention et de la réduction des risques en tant que meilleur moyen de lutter contre les effets de la consommation de cannabis sur la santé. ”
Dans sa récente publication, Sustainable Cannabis Policy Toolkit, M. Riboulet-Zemouli formule des recommandations clés à l’intention des dirigeants afin qu’ils adoptent une approche de santé publique en matière de réglementation et d’éducation concernant le cannabis.
Il appelle à mettre fin aux campagnes de prévention fondées sur la peur, la stigmatisation et la désinformation, ainsi qu’à celles menées par les forces de l’ordre.
Au lieu de cela, les gouvernements devraient transférer les dépenses publiques consacrées aux drogues de la répression à la santé, en mettant l’accent sur les programmes de réduction des risques, de prévention et d’éducation.
Des décennies de travail de la société civile ont résumé les aspects clés de la prévention du cannabis, qui devrait être “fondée sur des informations factuelles, sans jugement et ouverte au dialogue interactif, véritablement inclusive, dispensée par des animateurs formés ou des pairs, qui intègre pleinement la réduction des risques et qui accorde une attention particulière aux questions de genre, de racisme, de justice sociale et de stigmatisation qui se recoupent”, explique-t-il.
La prohibition a également empêché la recherche et le “partage des connaissances” concernant les effets sur la santé, les risques et la consommation sans danger du cannabis, ce qui a entraîné des “lacunes importantes” dans notre compréhension, selon M. Riboulet-Zemouli.
Il recommande que tous les gouvernements financent des recherches indépendantes sur “tous les aspects” de la plante de cannabis.
Les États européens adoptent de nouvelles approches
Un certain nombre de pays européens introduisent ou prévoient d’introduire de nouvelles approches pour réglementer le cannabis à usage récréatif ou pour adultes. Il s’agit notamment de l’Allemagne, du Luxembourg, de Malte, des Pays-Bas et de la République tchèque, ainsi que de la Suisse.
Le premier essai d’usage adulte en Suisse a été lancé dans la ville de Bâle au début de l’année, et d’autres devraient être mis en place prochainement. Le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Allemagne devraient tous suivre cette approche “expérimentale”, après que l’Allemagne a revu à la baisse ses projets de légalisation complète, invoquant des difficultés liées à la législation de l’UE et des Nations unies.
Il s’agit de la première partie de son approche progressive de la réforme. L’Allemagne devrait également dépénaliser l’usage personnel et l’autoculture d’ici la fin de l’année, des Cannabis Clubs devant être mis en place dans l’intervalle.
Kenzi Riboulet-Zemouli estime que le modèle des Cannabis Social Clubs est un outil “efficace” et “non stigmatisant” pour aider à prévenir les dommages potentiels liés au cannabis.
“Aujourd’hui, il existe un important corpus de littérature académique montrant qu’un modèle réglementaire bien pensé et à petite échelle comme le Cannabis Social Club est un outil efficace pour atténuer les dommages potentiels liés à la consommation de cannabis tout en fournissant un lien pour les campagnes de prévention et d’éducation afin d’atteindre les utilisateurs dans un environnement direct et non stigmatisant”, a-t-il commenté.
“À cet égard, il est satisfaisant de constater que le modèle du Cannabis Social Club – une forme d’économie sociale éminemment durable et née en Europe, adaptée au cannabis – a reçu les faveurs d’un certain nombre de gouvernements de pays de l’UE dans leurs projets de régulation de la substance.”
Pendant ce temps, la France serre la vis
Face à ces changements de paradigme dans différents pays européens, la France fait mouvement inverse.
Le cannabis est toujours la drogue illicite la plus consommée en France. Les dernières statistiques sur la consommation de cannabis en France indiquent, qu’en 2021, 7,3 % des adultes âgés de 18 à 64 ans déclarent avoir déjà consommé du cannabis au cours de leur vie. L’usage dans l’année concerne 10,6 % des 18-64 ans.
Les politiques français réclament et mettent en place depuis 50 ans des sanctions toujours plus sévères pour lutter contre la consommation de drogues.
A ce propos, les auteurs du rapport déclarent : “L’objectif de la politique en matière de drogues devrait être avant tout de réduire les dommages afin de maximiser la santé et le bien-être. Si la prévention primaire des comportements à risque de la population (comme la consommation de drogues) est un élément clé des approches de santé publique, elle doit être un moyen de réduire les dommages, et non une fin en soi.”
“Cette nuance a été perdue dans les approches contemporaines de la politique en matière de drogues, qui mettent sur le même plan la consommation et les dommages.”
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