La France bientôt privée de cannabis médical ?
Edit du 22/03 à 11h35 : ajout de la réponse de la DGS en bas d’article.
C’est une véritable alerte pour les patients inclus dans l’expérimentation du cannabis thérapeutique. Selon nos informations, plusieurs parties prenantes de la phase 1 de l’expérimentation du cannabis thérapeutique en France, représentant quelque 70% des produits délivrés, n’ont pas répondu à l’appel d’offres pour la poursuite de l’expérimentation, en raison d’une charge financière trop importante.
La conséquence pourrait être une pénurie de produits médicaux à base de cannabis pour les patients.
Une expérimentation en roue libre
Depuis 2 ans, les laboratoires pharmaceutiques inclus dans l’expérimentation fournissent gratuitement des produits médicaux à base de cannabis. Ce délai devait servir à valider le circuit de distribution du cannabis médical avant d’éventuellement procéder à une généralisation, pour peu que l’expérimentation soit concluante.
La généralisation n’a toutefois pas été actée alors même que les retours patients ont été convaincants.
Du côté de l’ANSM, on plaide l’arrivée du Covid pour expliquer le loupé de la généralisation, alors que de nombreux doigts pointent la réticence du ministère de l’Intérieur, qui sans avoir vocation à s’occuper d’un sujet de santé publique, étend sa politique répressive à l’égard du cannabis à un traitement potentiellement prescrit pour des personnes malades.
Personne n’est non plus tendre avec la Direction Générale de la Santé (DGS). Toutes les personnes interrogées, qui souhaitent rester anonyme, font état d’un manque cruel d’implication de cette instance.
« C’est la seule expérimentation médicale gratuite qui ait existé. Et c’est une expérimentation sans pilote dans l’avion » nous glisse-t-on à l’oreille.
Après 4 ans de travail, le statut de ces produits n’a ainsi toujours pas été défini. Et son remboursement ou non par l’assurance maladie, des sujets bloquants pour une généralisation et pour déterminer un prix, n’a toujours pas été acté. Des discussions ont pourtant eu lieu en décembre dernier, sans aucune transparence sur le sujet.
Pourquoi l’expérimentation coûte cher aux industriels ?
La France n’ayant pas de marché autochtone du cannabis médical, les rares entreprises ayant autorisation de cultiver du cannabis l’ont pour un usage de recherche. Les patients inclus dans l’expérimentation du cannabis thérapeutique en France consomment donc des produits importés d’Israël, d’Australie ou du Canada.
Deux types de produits sont disponibles pour ces patients : des huiles, délivrées en première intention, et des fleurs séchées qui représentent moins de 5% des produits prescrits. Outre les coûts de fabrication, avec des cultures dans des environnements contrôlés et de qualité pharmaceutique, les fournisseurs doivent supporter les coûts de transport – réfrigéré et à température constante dans le cas des huiles – et les taxes douanières. Une huile CBD de 10mL délivrée à un patient coûte alors au fabricant entre 60 et 120€.
Par ailleurs, alors que le cahier des charges de départ mentionnait un flacon d’huile à dominante CBD ou THC par patient par mois, certains patients se sont vus délivrer près d’une dizaine de flacons d’huile CBD par mois, sans avoir pu tester d’huile CBD:THC, d’huile THC ou de fleurs séchées, dénotant une absence d’effets et un manque d’informations pour les professionnels de santé en fonction des pathologies.
Si ces produits sont fournis jusqu’ici gratuitement, l’appel d’offres en amont de la prolongation prévoit une indemnisation de 14€ par flacon de 10mL d’huile et de 14€ par flacon de 10 grammes de fleurs de cannabis séchées, , au grand dam des industriels qui réclamaient une juste rétribution. Et d’où le refus de certains de continuer à supporter ces coûts plus longtemps.
Une expérimentation sans produits ?
Que se passerait-il alors pour les patients inclus dans l’expérimentation ? Leur traitement s’arrêtera.
« Une pénurie serait gravissime car il y a des personnes dont ça a changé la vie » réagit Mado Gilanton, présidente de l’association Apaiser S&C. « Nos enquêtes et nos remontées terrain font déjà état de l’inquiétude des patients en cas de rupture d’huile CBD ».
Interrogé par nos soins, Nicolas Authier, président du Comité scientifique temporaire pour le suivi de l’expérimentation du cannabis à usage médical, n’a pas encore d’information sur les produits qui seront disponibles pour la troisième année d’expérimentation. « Mais je ne peux pas imaginer que nous ne disposerions pas de 3 huiles pour les 3 ratios et de 3 ratios en fleurs » précise-t-il.
La DGS nous confirme qu’une « procédure de commande publique a été lancée [pour la prolongation de l’expérimentation], dont les résultats seront bientôt communiqués. Une période transitoire est prévue afin de laisser le temps aux sociétés retenues d’être en mesure de mettre à disposition leur produit. Le marché couvre l’année de prolongation. Les sociétés retenues s’engagent à fournir un volume permettant de couvrir les besoins.
Des échanges réguliers ont lieu avec les industriels engagés dans l’expérimentation afin d’assurer la continuité de traitement des patients. »
L’urgence est moindre mais la déception tout aussi pressentie pour les industriels français qui ont commencé à travailler sur une potentielle ouverture du cannabis médical en France. Certains ont proposé des solutions « Made in France » mais sans vision donnée par la DGS, les espoirs sont ténus.
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