Etudes sur le cannabis
Domestication et appauvrissement génétique du cannabis : les différentes variétés de cannabis seraient en fait de plus en plus similaires
Une étude conduite par l’université de Colombie Britannique évalue l’impact de la domestication du cannabis sur le profil chimique et génétique de la plante. Elle questionne également la pertinence du concept de variété: correspond-il à la composition chimique, à la morphologie ou à l’histoire génétique de la plante.
L’équipe de chercheurs a étudié le profil chimique de 33 « variétés », produites par les cultivateurs officiels canadiens, à la recherche de différences significatives qui justifieraient l’emploi de ces noms uniques. Elle a trouvé que la plupart des « variétés » sont virtuellement similaires d’un point de vue chimique et a conclu à un appauvrissement de la génétique de la plante et à un branding excessif qui pointe vers l’inadéquation du concept de variété.
Un concept de variété mal défini
La pratique du breeding dans le milieu du cannabis a donné le jour à une multitude de nouvelles variétés obtenues grâce à des croisements génétiques non naturels. La question que se sont posée les chercheurs est la suivante : à quel point ces variétés sont-elles différentes les unes des autres ?
Après étude, les « variétés » vendues par différents producteurs sont en fait largement similaires et impossibles à distinguer du point de vue de la chimiotaxonomie (branche de la biologie qui regroupe et classe les organismes vivants en fonction de leur propriétés chimiques). Parmi les 33 variétés étudiées, l’étude identifie 5 groupes de taxonomies identiques.
En d’autres termes, ces 33 « variétés » ont des noms différents et sont vendues comme étant différentes les unes des autres mais leur composition chimique est identique à plus de 95 %. Le fait que les différentes variétés se ressemblent autant est pour eux le signe d’un appauvrissement génétique. Cependant, les variétés ne se différencient pas uniquement à partir de leur profil chimique mais également à partir de différences morphologiques telles que l’arôme, l’aspect, la couleur et la densité des trichomes. Ces caractéristiques sont par exemple prises en compte et évaluées lors des concours tels que la Cannabis Cup.
Les variétés sont également différenciées en termes d’effets pharmacologiques. D’un point de vue commercial, seules deux molécules sont utilisées pour justifier de ces effets : le THC et le CBD. Leur ratio dans la plante est communément mobilisé dans la détermination de la variété. Cependant, les effets pharmacologiques sont également désignés par les appellations indica et sativa. Or, ces dernières ne sont pas liées à la composition chimique de la plante puisque les deux groupes peuvent avoir des ratio de THC identiques. Comment est-il alors possible que des ratios chimiques identiques induisent des effets différents? Peut-être le ratio THC/CBD est-il réducteur et ne prend pas en compte certains aspects de la plante.
Breeding et diversité chimique de la plante
La domestication de la plante et la pratique du breeding sont dirigées par la recherche du rendement, en quantité de fleurs ou en concentration en cannabinoïdes. L’étude montre que ce processus se fait au détriment de la diversité chimique de la plante. Le conditionnement des plantes en vue de l’augmentation de la concentration de THC conduit par exemple à une réallocation des ressources métaboliques de la plante qui sont redirigées vers la production de THCA au détriment de la production de CBDA, mais pas seulement.
L’étude montre que six autres cannabinoïdes sont présents uniquement dans les variétés riches en CBD, trois autres étaient, au contraire, présents uniquement dans les variétés riches en THC. Par conséquent, cette allocation de ressources vers la production de THC n’affecte pas seulement le CBD mais aussi d’autres cannabinoïdes présents en petite quantité dans la plante et dont les effets sont pour l’instant peu connus ou inconnus. Les pratiques de breeding informelles et la méconnaissance encore importante de la plante de cannabis conduisent donc à un appauvrissement de sa diversité chimique.
L’extrapolation des vertus du cannabis entre les valeurs CBD/THC est réductrice. On recense plus de 120 cannabinoïdes dans le cannabis. La présence d’effets différents malgré des ratios THC/CBD similaires, bien qu’également induite par des facteurs individuels, laisse supposer que ces cannabinoïdes ou du moins leur synergie peuvent avoir différents effets et potentiellement une valeur thérapeutique. L’étude suggère de conduire des recherches sur la valeur médicinale et sur le rôle dans le métabolisme de la plante de certains cannabinoïdes moins abondants que le THC et le CBD.
Domestication de la plante et appauvrissement génétique
Le « syndrome de domestication » inclue des modifications phénotypiques comme l’augmentation de la taille des graines et l’absence de dissémination. La domestication a également modifié le processus de reproduction des plantes avec un système de bouture, de féminisation des graines ou la pratique sinsemilla qui consiste à séparer les mâles des femelles, ce qui empêche la formation des graines et permet une concentration plus forte en THC. La domestication influe également sur le profil moléculaire de la plante et donc sur son métabolisme bien que les détails de cet impact soient encore largement méconnus.
Durant les 30 dernières années, le taux moyen de THC est passé de 6,3% à 11,5% grâce au breeding. L’obsession d’une plante forte en THC semble bloquer le développement d’autre cannabinoïdes et conduit à un appauvrissement génétique et phytochimique de la plante de cannabis et une possible perte de valeur thérapeutique. Parallèlement, le développement génétique de la plante a été séparé des conditions écologiques de son environnement naturel ce qui la rend moins résistante et limite sa variabilité génétique comparée à ses ancêtres. En conséquence, la diversité génétique du cannabis est sans cesse plus limitée. Cette limitation est étouffée par la confusion du concept de variété qui fait croire à une profusion de nouveautés alors que les plantes sont de plus en plus similaires.