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La culture en extérieur est-elle le futur de l’industrie du cannabis canadienne ?
Pour l’instant, le cannabis canadien est issu de sites de culture en intérieur ou sous serre. Ceux-ci étaient en effet les seuls modes de culture autorisés par le programme de cannabis médical canadien mais le Cannabis Act qui à légalisé le cannabis récréatif le 17 octobre légalise également la culture du cannabis, pour une production à échelle commerciale, en extérieur. Une proposition qui pourrait révolutionner l’industrie actuelle et créer une industrie à deux vitesses.
Les challenges de la culture en extérieur
Certains doutent du fait que la culture du cannabis en extérieur apporte une quelconque valeur à l’industrie. Elle présente en effet des défis importants. Le premier, et pas le moindre, est le climat du Canada : cultiver du cannabis en extérieur requière une période de 75 à 90 jours sans gel et ce pour une saison courte, la plupart des variétés les plus populaires ont un temps de floraison encore plus long. Le cannabis a également besoin de beaucoup de lumière, pas trop de vent et une eau de grande qualité, des paramètres difficilement contrôlables en extérieur.
Les modalités de culture sont différentes également : la culture en extérieur se fera plutôt à partir de boutures pour éviter la présence de plantes mâles qui pourraient polliniser les femelles par voie aérienne, et leur faire produire plus de graines et peu de fleurs. En extérieur, le cannabis est aussi soumis à différents ravageurs et aux aléas de la météo. En bref, tous les challenges sont liés au fait que l’environnement ne peut pas être contrôlé comme en intérieur ou en serre, avec des résultats plus aléatoires sur la récolte.
Néanmoins, certains comme Ian Dawkins, président de l’Association de Commerce du Cannabis de Canada, font remarquer que ces aléas ne sont pas propres à la culture du cannabis mais à l’agriculture en général. En tous cas, pour Mark Spear, le fondateur de Burnstown Farms Cannabis Company, une entreprise qui a candidaté pour une licence de culture de cannabis en extérieur et prévoit de cultiver 50 acres en périphérie de Beckwith Township au Sud-Ouest d’Ottawa, ces contraintes naturelles n’empêchent en rien d’obtenir du cannabis de qualité.
https://twitter.com/spearster55/status/1023213428188434432
Les bénéfices et ce qu’ils impliquent pour le futur de l’industrie
Le principal avantage commercial de la culture en extérieur c’est bien sûr la réduction des coûts de production. Selon le cabinet de consulting Cannabis Compliance : « les coût de production pour les installations de culture en intérieur efficaces et de grande ampleur vont de 1$ à 3$ le gramme, alors qu’une production commerciale en extérieur pourrait, en théorie, ramener ces coûts en-dessous de 20 centimes par gramme. A un tel prix, même si une grande partie de la récolte est endommagée à cause du temps ou des ravageurs, cela n’a pas vraiment d’impact ». En septembre 2017, les coûts de production moyens pour la culture, la récolte, la transformation et l’envoi d’un gramme de cannabis par Canopy Growth environnaient les 2,37$.
Pour Kelly Coulter de NORML, la culture en extérieur – outre de présenter des avantages commerciaux évidents comme des coûts de production moindres pour des volumes de production plus importants – représente une forme de retour au naturel avec du cannabis cultivé à l’air libre et à la lumière du soleil au lieu de « cannabis d’usine » cultivé « de manière ultra-scientifique dans un climat contrôlé et des conditions de quasi-quarantaine ». Qui plus est, selon elle, cultiver du cannabis dans ces conditions n’est même pas un gage de bonne qualité. Elle fait ici référence au rappel des produits de RedeCan dans lequel des clients ont trouvé de la moisissure.
Un autre avantage de la culture en extérieur est la réduction de l’impact écologique. En 2017, la Commission des Services Publics de Californie a indiqué que « la différence de coût en ressources énergétiques entre la culture en intérieur, la culture en serre et la culture en extérieur était de 78 à 1 à 0 ». En effet, la culture en extérieur élimine presque la totalité des besoins en énergie de la culture commerciale du cannabis dont 89% environ est dédié à la lumière, la ventilation et l’air conditionné selon une étude de 2012. De plus, la construction et la mise en place de ces installations gourmandes en énergie prend entre six mois et trois ans selon un rapport présenté au Parlement en 2017 intitulé : le cannabis en extérieur: une composante vitale des régulations sur le cannabis au Canada. Les auteurs précisent qu’il « existe un véritable risque reconnu que l’industrie comme elle est actuellement définie ne soit pas en capacité de se développer assez rapidement ».
Un marché bipolaire
Les difficultés que rencontre l’industrie du cannabis canadienne en termes d’approvisionnement ont relancé le débat sur la culture en extérieur. Avec la légalisation future des edibles et des concentrés, dont la production demande une grande quantité de matière première, il semble de plus en plus pertinent d’ouvrir la voie à une industrie de culture en extérieur. Même Rewak, le directeur de l’association d’industriels Cannabis Canada Council, qui faisait du lobbying auprès des législateurs pour interdire la culture en extérieur, a admis que celle-ci pourrait s’avérer être une nécessité. Selon lui, cette production pourrait devenir « un stock de matière première pour la production d’huile et pas seulement pour le marché médical mais aussi pour le marché récréatif avec la légalisation des edibles et des concentrés prévue pour l’année prochaine ».
Jusqu’ici, les plus fervents opposants à la culture en extérieur sont les producteurs licenciés car selon Kelly Coulter : « cela détruit totalement leur modèle de business ». Plus tôt dans l’année, Bruce Linton, le PDG de Canopy avait été moqué alors qu’il avait tenté de convaincre un groupe de sénateurs qui visitaient ses installations que la culture en extérieur causerait des problèmes de sécurité en exposant les récoltes à des vols par drones. L’idée avait été moquée par un Gorafi canadien spécialisé sur le cannabis.
Pour Ian Dawkins, les producteurs licenciés essaient simplement de protéger leurs investissements de plusieurs millions de dollars dans des « bunkers high tech avec des murs de 45cm d’épaisseur et une armature en métal ». Il explique que l’introduction de la culture en extérieur dans certains États américains a conduit les entreprises à casser les prix pour rester compétitifs. « Nous allons voir le marché commencer à se transformer en ce qu’on appelle un marché bipolaire » affirme-t-il.
C’est également l’avis de Mark Spear qui prédit lui aussi une industrie à deux vitesses : « les producteurs en extérieur vont devenir des dinosaures dans la prochaine décennie. Il n’y aura plus qu’une poignée d’entre eux qui produiront des fleurs de cannabis de qualité exceptionnelle, premium, et les gens paieront pour mais cela ne représentera que 10% du marché. Le reste viendra de site de cultures en serres ou en extérieur ».
Quels acteurs?
La première licence pour une culture en extérieur a été déposée par 48 North dont la co-directrice a co-fondé the Green Organic Dutchman, un des plus importants producteur canadien, après avoir acquis Good & Green un autre producteur de cannabis médical canadien qui possède une ferme de 100 acres dans le Sud-Ouest d’Ontario. Il semble que les producteurs de cannabis médical anticipent déjà la concurrence des cultures d’extérieur. La ferme aura une capacité de production d’environ 40 000kg de cannabis séché par an à partir de printemps 2019. En comparaison, les sites de culture en intérieur de la compagnie à Brantford n’ont une capacité de production que de 1 000kg par an et ceux sous serre à Kirkland Lake de 2 500kg. Le cannabis produit en extérieur sera utilisé par la compagnie pour produire des concentrés. Ainsi, les grands producteurs sécurisent déjà leur matière première en devançant une éventuelle concurrence.
En revanche, d’autres producteurs sont hésitants à se lancer dans le business car le gouvernement impose une taxe au poids et non sur la teneur de THC ou de CBD. Qui plus est, Santé Canada impose des règles aussi strictes pour la culture en extérieur qu’en intérieur. Les sites de culture doivent être équipés de caméras de surveillance sur tout le périmètre, de détecteurs de mouvement et d’alarmes en cas d’intrusion et de contrôles d’accès qui enregistrent tous ceux qui entrent et sortent du périmètre. Les grilles de sécurité autour du site doivent être équipées de câbles microphoniques qui détectent les mouvements ou les vibrations près des grilles. Tout ceci suppose des moyens importants et favorise les grands producteurs ayant déjà un capital important.