Peut-on déposer un brevet sur une variété de cannabis ?
Il existe plusieurs sortes de brevets auxquels peut avoir recours l’industrie du cannabis : brevets d’utilité, brevets de conception et brevets sur les plantes. Nous nous intéresserons principalement dans cet article aux brevets sur les plantes.
En Europe, les brevets sur les plantes ne sont pas permis. Ils le sont en revanche aux Etats-Unis. Sont-ils légitimes ? Représentent-ils une menace ? Certains y voient une reconnaissance du travail sur la génétique du cannabis, d’autres une tentative de monopolisation. Newsweed fait le point.
Une reconnaissance pour les breeders ?
Pour les breeders qui passent des années à mettre au point leurs génétiques, des droits de propriété intellectuelle semblent s’imposer comme des droits d’auteurs. Dans un article sur le sujet, le magazine en ligne Civilized a contacté Mario Guzman, fondateur de Sherbinskis et créateur de la Gelato, une variété qui a remporté de nombreux prix, très prisée par les consommateurs mais aussi par les growers. Bien que Sherbinski soit le créateur original de la Gelato, elle est aujourd’hui cultivée par de nombreux growers indépendants qui ont récupéré des graines.
« Le droit de propriété d’un grower sur une variété peut presque être comparé à celui entre une mère et son enfant. Même si elle l’a créée et lui a donné la vie, il arrive que l’enfant ne grandisse pas avec sa mère ou la perde en chemin dans la vie » explique Mario Guzman. « Le fait que les gens associent tellement nos variétés avec notre marque, c’est ça qui nous donne un véritable droit de propriété » ajoute-t-il. Néanmoins, ce n’est pas le cas de tous les breeders. Certains n’obtiennent pas la reconnaissance qui leur est due pour leur création et c’est pour lutter contre des appropriations indues que les brevets sur les plantes peuvent être utiles.
A quel droit ouvrent ces brevets ? Les personnes désireuses de cultiver une variété inventée par un certain breeder devront alors acheter des graines régulières auprès de son entreprise ou d’entreprises qui ont obtenu une licence de la part du grower pour les vendre. Les limites sont ici clairement visibles car les growers indépendants peuvent simplement décider de récupérer les graines des plantes après une première récolte. La supervision de cette pratique semble impossible tout du moins quand elle s’effectue dans un cadre privé et une culture non destinée au commerce (auto-culture).
En outre, une autre question se pose : puisque les strains sont toutes faites les unes à partir des autres, jusqu’à où s’étendent les droits de propriété sur les strains parentes ? Admettons qu’un breeder crée une variété avec une variété déjà brevetée, les droits du détenteur du brevet s’étendent-ils sur la nouvelle variété ? Quelle est la procédure pour breeder à partir d’une variété déjà brevetée ? Tout cela risque de compliquer davantage la pratique du breeding.
Entre classiques et innovations
Tom Zuber, avocat américain spécialisé dans la propriété intellectuelle, explique à Civilized que les brevets sur les variétés de cannabis sont disponibles sous certaines conditions : la variété doit être nouvelle, asexuellement reproduite et le produit d’un breeding. Elle doit aussi être stable (conserver les mêmes caractéristiques à chaque culture) et distinctive (on doit pouvoir la reconnaître). Le dépôt de brevet doit s’effectuer dans un délai de un an après les premières ventes.
Ce genre de brevets s’appliquent donc uniquement aux innovations. Les classiques resteront bien évidemment dans le domaine public à condition que personne ne cherche à se les approprier. En effet, le manque d’informations dû à l’illégalité du cannabis rend le sujet délicat car il peut être compliqué de fournir des preuves de l’existence préalable d’une strain. Pour lutter contre ce problème, la plateforme en ligne Open Cannabis Project a été mise en place avec l’objectif de recenser les strains existantes pour empêcher tout brevet malhonnête.
Pour l’avocat Tom Zuber, la propriété intellectuelle reste un élément crucial de toute industrie, y compris l’industrie du cannabis : « Sans protéger correctement ces inventions, y compris les nouvelles variétés de cannabis, on peut se retrouver dans le cas où l’on a fait toute la recherche et tout le travail pour que quelqu’un d’autre profite de ces efforts. Les nouvelles variétés seront dans le domaine public et n’importe qui pourra les utiliser ». Il note que pour l’instant peu de brevets ont été déposés et nombreux sont les dépôts qui échouent en cours de route.
Une industrie à deux vitesses
C’est surtout dans le cadre de l’industrie du cannabis médical que la question des brevets sur les plantes se pose. Pour Stephen Martin, cofondateur de Gene Pool Technologies, l’absence de protection des inventions entrave les financements nécessaires à la recherche sur des traitements potentiels : « le cannabis a un énorme potentiel pour la recherche pharmaceutique mais faire approuver un traitement à base de cannabis [par la FDA] peut coûter des dizaines de millions de dollars et sans la possibilité de protéger les résultats, le financement ne sera jamais là ». En d’autres termes, les brevets pourraient booster l’innovation médicale.
Le problème, c’est que ces brevets ne profiteraient pas à tout le monde de manière égale. En effet, les petits producteurs n’ont souvent pas les moyens financiers mais aussi techniques d’adresser les contraintes légales que demande un dépôt de brevet. En revanche, l’industrie pharmaceutique possède déjà des stratégies à cet effet et surtout les moyens financiers de déposer des brevets rapidement et en masse. Le risque de monopolisation est donc bien réel. Les grandes entreprises pharmaceutiques peuvent en outre profiter de l’absence de brevets sur une variété pour breveter une préparation spécifique créée à partir de la variété en question sans que les droits ne reviennent à son créateur.
La pratique des brevets sur les variétés de cannabis est donc à double tranchant. Premièrement, parce qu’elle est extrêmement complexe à réguler en ce qui concerne les limites des droits de propriété des strains parentes sur les nouvelles strains et la supervision de la pratique d’auto-culture des particuliers. Deuxièmement, parce qu’elle bénéficierait à l’industrie du cannabis médical parfois aux dépens du travail des breeders clandestins. Troisièmement parce qu’elle favorise la monopolisation de l’industrie par les grandes entreprises et notamment les grands groupes pharmaceutiques. En conclusion, l’idée est légitime mais la pratique l’est moins.
Enfin, les brevets sur les plantes soulèvent une autre question cruciale : sont-ils transférables dans les pays qui ne brevettent pas le vivant ? Le récent exemple de la légalisation du cannabis médical thaïlandaise montre que ces questions sont de véritables enjeux socio-économiques.
Pour une discussion plus extensive sur les brevets en tous genres, voir notre précédent article.
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