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Les boutiques de chanvre sont-elles vraiment interdites d’inscription au Registre du Commerce ?
Le Comité de coordination du registre du commerce et des sociétés (CCRCS), un organe du ministère de la Justice dont la mission est d’interpréter le code du commerce et d’harmoniser son application, a été saisi par le Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce (CNGTC) sur la question des produits dérivés du cannabis. Il a ainsi émis un avis très controversé sur l’inscription au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) ayant pour objet la commercialisation « des produits dérivés du cannabis » et donc du chanvre.
Une interprétation douteuse
Tout part de la question adressée au Comité par la CNGTC : « L’activité de commercialisation de produits dérivés du cannabis peut-elle être inscrite au Registre du commerce et des sociétés ? ». De là, le Comité a conclu que oui, cette inscription est possible mais sous réserve d’avoir obtenu les autorisations nécessaires à savoir une autorisation de l’Agence Nationale de la Santé et des Médicaments ou un contrat de débit de tabac avec l’Etat. Comme le souligne Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles et spécialiste du droit de la drogue, dans une publication sur Lexbase, cette interprétation est plus qu’incohérente.
Le Comité semble ainsi se fonder sur les articles R5132-74 et R5132-75 du Code de la santé publique mais ces textes ne concernent que les médicaments classés comme substances vénéneuses et comme stupéfiants. Or, le CBD n’est classé comme stupéfiant ni par la France ni par l’OMS. Ces textes ne s’appliquent donc pas aux produits CBD dérivés du chanvre. Qui plus est, l’ANSM ne peut délivrer d’autorisation de mise sur le marché que pour des médicaments. Or, les produits CBD ou les dérivés du chanvre n’ont pas la prétention d’être des produits thérapeutiques. Cette prétention est de toutes les façons considérée comme illégale.
L’avis du Comité précise ensuite que « si l’activité consiste en la commercialisation de produits pouvant être consommés et composés, même partiellement, de tabac, elle est assimilée, à la vente de produits du tabac, elle-même soumise à la conclusion entre le débitant et l’Etat d’un contrat de gérance ». Cette confusion entre les produits dérivés du cannabis et le tabac semble totalement injustifiée. Les produits CBD ne contiennent pas de tabac. Certains e-liquides sans CBD peuvent contenir de la nicotine mais des produits du genre sont déjà commercialisés en-dehors des bureaux de tabac.
L’avis prétend également que les activités liées au commerce de produits dérivés de cannabis sont déjà réglementées en se basant sur les réglementations en vigueur pour les produits au tabac et les médicaments. Il faudrait donc pour les entrepreneurs du cannabis s’improviser buraliste ou pharmacologue pour faire le commerce de dérivés du chanvre et de produits CBD ?
Une énième tentative pour dissuader les entrepreneurs ?
Ce n’est pas la première fois qu’un organe ministériel émet une interprétation restrictive du droit pour brider le commerce de produits dérivés de cannabis. La MILDECA et la DACG ont déjà tenté de faire valoir leur interprétation du droit selon laquelle seules les tiges et les graines (et non la fleur) peuvent être utilisées et le produit fini ne doit contenir aucune trace de THC. Ces interprétations, difficilement justifiées par les conventions internationales, le droit européen ou même le droit interne, empêchent aujourd’hui le développement d’un secteur pourtant déjà dans le starting-blocks.
Cette fois, avec l’avis du CCRCS, la tentative de dissuasion est encore plus grossière. Les documents demandés n’ont pas lieu d’être selon Yann Bisiou : « le premier document n’est pas nécessaire, tandis que le second n’existe pas, tout simplement ». Cet avis sera néanmoins transmis à tous les greffiers de France et il est déjà public sur le site du ministère de la Justice. Par conséquent, ces conditions d’exercice peuvent être vérifiées par les greffiers qui peuvent ensuite radier une entreprise du registre des commerces ou refuser de l’y inscrire.
Cette interprétation peut en revanche être opposée en justice par une autre interprétation valable du droit, et il en existe vraisemblablement de plus légitimes. En effet, le même code de la Santé Publique sur lequel repose l’avis du comité prévoit une dérogation pour le cannabis non psychoactif ou chanvre dans le cadre de son commerce au niveau européen. La réglementation européenne précise que le cannabis et ses dérivés sont légaux tant qu’ils sont issus de variétés enregistrées au catalogue européen. C’est cette position que le syndicat de la filière chanvre bien-être s’attache à faire reconnaître.
Selon le principe européen de libre circulation des biens, la France ne devrait pas être en mesure de bloquer le commerce d’un produit reconnu comme légal au niveau européen. La première relaxe d’une boutique CBD avait réussi à faire valoir cette position et une autre affaire portée à la Cour de Justice Européenne doit statuer sur la question. En attendant, l’avis du Comité peut être utilisé en justice contre des commerçants et entrepreneurs, le temps de démontrer son invalidité.
Les boutiques de chanvre en première ligne
Comme l’explique Yann Bisiou, les boutiques de CBD visées par le Comité ne seront pas les plus touchées car, dans le cadre de la répression qu’elles ont subies, elles se sont ouvertes sous des dénominations très vagues qui ne font pas mention de produits CBD. Au contraire, chez les boutiques de dérivés du chanvre, le concept est tout entier tourné vers les vertus de la plante et il est difficile de faire l’impasse sur le mot chanvre en termes de communication.
« Les boutiques de CBD visées par le Comité ne seront pas les plus concernées. Ce sont les centaines d’entreprises de la filière chanvre traditionnelle qui seront les plus visibles et les plus en danger. Inconséquent juridiquement, cet avis est aussi maladroit et rate la cible qu’il entendait viser » développe Yann Bisiou.
Pour contourner le problème et ne pas se voir refuser une inscription au registre des commerces, les entrepreneurs ont tout intérêt à ne pas mentionner certains mots clés ( chanvre, cannabis, tabac) dans leurs statuts. NORML France conseille d’opter pour des dénominations plus larges comme « produits bien-être ». Pour les entreprises déjà établies, un risque existe et l’association conseille de modifier au préalable les statuts. NORML France a annoncé vouloir se rapprocher du ministère de la Justice et entamer une action en justice pour contester le document.