Cannabis en France

Les 10 erreurs de Bernard Debré sur France Inter

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Hier, l’émission de France Inter « le téléphone sonne », présentée par Mickael Thébault, mettait le curseur du débat sur la légalisation du cannabis.

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Cette émission diffusée de 19h20 à 20h fait intervenir des citoyens, qui posent une question aux invités. Ces derniers tentent d’y répondre en débattant. Hier soir, Mickael Thebault recevait le député LR Bernard Debré, professeur de médecine, chirurgien urologue et le docteur Bertrand Dautzenberg de l’hopital de la Pitié Salpêtrière. Décryptage de 40 minutes de débat, et des inepties de Bernard Debré.

La première question vient d’une auditrice quinquagénaire se traitant au cannabis pour soulager sa pathologie. Dans sa question, elle parle de l’absence d’addiction au cannabis et de son obligation de se fournir au marché noir.

Réponse de Bernard Debré : « Mais il faut bien comprendre que le cannabis, personne ne peut dire le contraire, le cannabis procure une accoutumance,  des troubles psychologiques, des troubles somatiques et c’est reconnu par tout le monde, elle dit ça mais ça provoque autant d’accoutumance que le tabac. »

Mr Debré est immédiatement contredit par le Dr Dautzenberg, qui rappelle que le tabac est nettement plus addictif que le cannabis. Kevin Hill, expert en addiction est formel, seuls 17% des mineurs deviennent accro et 9% des adultes, alors que 90% de la consommation tabagique se fait par dépendance. Le député n’a pas répondu sur l’origine inconnue du produit.

« Fumer du cannabis à usage thérapeutique est une hérésie. »

On croirait presque entendre la DEA qui ne reconnait aucune vertu thérapeutique au cannabis. Jusqu’à cette semaine où elle a donné son accord à un essai clinique sur l’application du cannabis comme médicament légal. Aux états Unis, 1.2 millions de personnes fument ou ingèrent du cannabis a des fins thérapeutiques.

« Le cannabis, quand on est jeune, déstructure ou empêche le cerveau  de se structurer, ce qui va soit provoquer, soit permettre l’émergence des troubles psychiatriques chez les jeunes. Je pense que cela provoque des troubles chez les jeunes et  favorise son développement chez les adultes. (…) De plus le cannabis provoque des cancers des poumons ou de la vessie. »

Difficile de contredire Mr Debré ici. Les pays qui légalisent interdisent d’ailleurs l’accès au cannabis aux mineurs et obligent les dispensaires à s’installer loin des écoles. Concernant les cancers, le cannabis seul ne cause pas de cancer. Le tabac mélangé aux joints en revanche en est souvent la cause. Les chercheurs déplorent d’ailleurs souvent le manque d’études sur l’effet à long terme du cannabis sur le corps.

« Ce que je demande c’est la « contraventionnalisation » c’est-à-dire une modification des lois, donner une amende aux consommateurs occasionnels. »

Des amendes sont déjà distribuées, elles peuvent aller de 160 à 15 000€ pour consommation et détention de drogue stupéfiante pour des quantités inférieures à 50g. En 2010, 120 000 personnes ont été interpellées pour usage ou possession de cannabis. Suite à une question d’un auditeur via le site internet proposant de légaliser la weed pour désengorger les tribunaux et les forces de polices, Mr Debré repond du tac au tac : « dans ce cas on pourrait désengorger les tribunaux en légalisant le meurtre » Petite blague quand on manque d’arguments.

« Dépénaliser les drogues, c’est ça le danger. Est ce qu’il y a une différence entre les drogues douces et drogues dures car souvent on va de l’une à l’autre. On commence par dire, on va dépénaliser une drogue parce qu’elle est douce mais est-ce qu’il y a des drogues dures et des drogues douces ? Je ne suis pas sûr, souvent on va de l’une à l’autre et d’ailleurs ceux qui fument habituellement du cannabis savent qu’ils vont mélanger cannabis tabac, cannabis ecstasy etc… D’ailleurs il y a des planteurs de cannabis qui ajoute de l’ecstasy dans les racines pour faire en sorte que ce soit plus forts »

La fameuse escalade des drogues, argument phare des anti-cannabis, est démentie par les chiffres dans cette infographie où seulement 11% des personnes  ayant fumé du cannabis « essayeront la cocaïne ». 40 % des fumeurs ne toucheront jamais d’autres drogues (alcool compris).

Dans ce cas, ce serait plutôt l’alcool qui conduirait à fumer : seules 10% des personnes ont en effet testé le cannabis avant l’alcool. La différenciation drogue dure, drogue douce, fut instaurée par les Pays Bas en 1976. On parle de drogues douces justement pour différencier les dommages physiologiques des drogues dures. Le cannabis thérapeutique permet de soigner des personnes justement accro aux drogues dures.

Et pour le coup de l’ecstasy dans les racines de cannabis, j’aimerais bien savoir d’où Mr Debré tient cette information (peut-être d’une de ses nombreuses visites dans des plantations de cannabis ou est-ce une astuce de vieux grower ?) ou ce que France Inter a mis dans sa tisane…

« Ce qui ferait baisser la consommation c’est la prise en charge et la prévention et il n’y a pas de prévention à l’école. »

Vrai et faux. Tous les ans, la police nationale déploie des effectifs dans les lycées pour expliquer les dangers dus aux drogues. En 2004, le Gouvernement met en place le système Consultation Jeunes Consommation. Les parents et les enfants peuvent s’y rendre gratuitement.

En revanche, cette prévention est durement encadrée et par conséquent inefficace. Elle est réalisée par la police, et non par des médecins, ce qui place tout de suite le sujet sur un plan judiciaire plutôt que sanitaire. La marge de manœuvre des professionnels de santé est très limitée en matière de prévention, à cause de la prohibition du cannabis. Les parents sont soumis à l’intox nationale, alors que l’interdit attire les plus jeunes vers des substances qui ne sont pas inoffensives à leur âge.

« Vous avez compris aussi qu’on pourrait légaliser la cocaïne, ce qui a été fait dans certains pays d’Amérique du Sud. Non pas qu’ils avaient des difficultés à faire baisser la consommation, et on entendait le même discours : ça rapporte de l’argent mais n’oubliez pas aussi les drogues de synthèse qui se substituent au cannabis. »

Certains pays ont en effet légalisé la cocaïne dans de petites quantités : la Colombie et la République Tchèque jusqu’à 1g, le Pérou jusqu’à 2g. La vente y est en revanche toujours illégale, et ne rapporte donc rien à l’Etat (ou alors de manière officieuse, mais c’est un autre problème). Le Portugal a dépénalisé toutes les drogues en 2001, et l’Etat a développé un circuit d’aide et de soutien qui a fait chuter la consommation de drogue dans tout le pays.

Les drogues de synthèse attirent également de plus en plus de consommateurs. Bien que très dangereuses, elles sont souvent légales et jouent sur des variations de molécules pour passer les mailles du filet législatif. Légaliser le cannabis pourrait permettre de lutter contre ce fléau.

« Nous sommes tous les deux médecins, monsieur Dautzenberg et moi : c’est déjà un avantage, c’est qu’on peut avoir un esprit un peu plus ouvert sur les drogues : il ne faut pas être naïf en disant des « y a qu’a légaliser », c’est extrêmement dangereux. »

Haaa l’argument d’autorité. Faire médecine n’ouvre pas forcément l’esprit, Mr Debré en est la preuve vivante.

« Il y a une augmentation extraordinaire la consommation de drogues : opium, cocaïne, drogue de synthèse »

Enfin un peu de crédit à apporter au docteur Debré qui dit la vérité. En effet, comme le montre ce rapport de L’observatoire français des drogues et des toxicomanies, les saisies de drogues de synthèse explosent et la consommation de cocaïne tend à se banaliser.

En conclusion, la tenue d’un débat est toujours intéressante. Encore faut-il que les invités sachent de quoi il en retourne. A posteriori, on peut légitimement se demander pourquoi France Inter a décidé d’inviter Mr Debré ? Sous son diplôme de médecin, il nous sert les mêmes litanies que l’Amérique de Nixon, défend son verre de vin rouge et son tabac, tout en ne laissant aucune place pour une substance consommée par 10% des Français chaque année, vendue en sous-main sans contrôle qualité, qui alimente les réseaux terroristes à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros, et fait régulièrement les gros titres sur base de règlements de comptes ou de saisies douanières « exceptionnelles ».

Comme dirait Nietzsche, « les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges. »

Vous pouvez retrouver l’émission de France Inter en podcast.

Theo Caillart et the watcher

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