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L’Amérique latine, futur fournisseur mondial de cannabis ?
Le tout récent rapport de Prohibition Partners, think tank britannique, estime que l’Amérique Latine a toutes les chances de devenir le futur fournisseur mondial de cannabis.
Le rapport recense les différentes législations et régulations en matière de cannabis de 11 pays d’Amérique latine (Argentine, Brésil, îles Caïman, Chili, Colombie,Jamaïque, Panama, Uruguay, Mexique, Pérou, Paraguay). En rassemblant diverses informations sur les marché de ces pays, leur propension politique à accepter le cannabis et l’état de la pression internationale, le rapport spécule sur l’état futur du marché régional du cannabis et sur la place qu’occuperont ces pays dans le marché mondialisé.
La principale conclusion du rapport est que, du fait de son histoire, de son climat et de ses structures sociales et commerciales, la région a de fortes chances de devenir la principale fournisseur de cannabis du monde. En d’autres termes, dès que le cannabis sera accepté mondialement et que l’industrie sera mondialisée, la production internationale de cannabis ainsi que sa transformation ont de fortes chances d’être délocalisées en Amérique latine.
L’état de la légalisation actuelle dans la région
A l’origine, la plupart des pays d’Amérique latine ont criminalisé le cannabis pour s’accorder avec les traités internationaux. Cette tendance est en train de se renverser à l’échelle globale. L’Uruguay a été pionnier en la matière puisque ce fut le premier pays du monde à légaliser le cannabis récréatif et médical dès 2013. Aujourd’hui, de nombreux pays suivent la même voie, avec une émergence d’un marché mondial du cannabis pour l’instant centré sur sa valeur thérapeutique.
Le cannabis médical est déjà légal dans la plupart des pays d’Amérique latine ou le sera dans les trois ans à venir. L’huile de CBD est communément admise en tant que médicament. Le cannabis récréatif, en revanche, est largement illégal mais le vent est en train de tourner, avec une probabilité modérée pour qu’il soit légalisé dans plusieurs pays de la région d’ici 5 ans. Le cannabis industriel, dit chanvre, est partiellement légal bien que l’industrie soit peu développée.
Il y a de fortes chances, cependant, qu’une fois que le cannabis sera légal aux Etats-Unis au niveau fédéral et reclassé à l’échelle de l’ONU, les Etats d’Amérique latine suivent à nouveau le mouvement et légalisent. Le rapport estime que d’ici 5 à 10 ans, le cannabis médical et récréatif seront légaux dans toute la région. Conséquemment, il estime sa valeur à 12 milliards de dollars d’ici 2028.
Estimations de marché
Assumant un marché du cannabis légal et régulé, le rapport procède aux estimations de marché suivantes pour l’année 2028.
Cannabis médical
Le marché du médical est estimé à 8,5 millions de dollars. Cette valeur relativement faible est due au fait que les dépenses de santé publiques sont encore relativement faibles comparées à l’étendue de la population. Cependant, le rapport note que des systèmes de santé sociale couvrant les dépenses médicales des patients sont en train d’être développés à travers la région.
Cannabis récréatif
Le marché récréatif est estimé à 4,2 milliards de dollars. Le rapport se base sur des données de l’OCDE et estime que le nombre de consommateurs potentiels s’élève à 5,4 % de la population totale. Ce pourcentage plutôt faible est le fait d’un contexte politique prohibitionniste et il est fort à parier qu’il augmenterait dans un contexte de légalisation. Si la valeur de ce marché est relativement basse comparée à celle des marchés d’Europe et d’Amérique du nord, c’est aussi du fait de prix très bas, parfois à 0 ,50$ le gramme. Le cannabis qui circule actuellement est généralement cultivé à domicile et de mauvaise qualité mais la commercialisation et la régulation du cannabis pourraient faire augmenter les prix, et donc la valeur globale du marché.
Chanvre industriel
Ce marché est estimé à 13 millions de dollars avec un marché chilien estimé à 5 millions. Le Chili prévoit déjà des provisions légales pour la culture du chanvre. Les fermes chanvrières ne sont pas encore très présentes mais sont susceptibles de se développer significativement en fonction de la demande internationale. Vient ensuite le marché mexicain qui pourrait représenter 13 % de ce total et potentiellement l’Uruguay du fait de sa position avant-gardiste et de l’existence actuelle des structures de production. Le marché global du chanvre est estimé à 1 milliard de dollars.
Au total, le marché régional s’élèverait à 12 milliards de dollars en 2028. L’étendue du marché est contrastée par des prix de vente très bas comparés aux marchés européens et nord-américains mais, en termes de coûts de production, il est imbattable. Dans une stratégie globale, il sera donc intéressant de produire en Amérique Latine pour exporter ensuite pour les marchés de consommateurs du Nord.
L’Amérique latine fournisseur mondiale de cannabis ?
Avec des conditions climatologiques idéales, une main d’œuvre bon marché, une forte disponibilité en terres arables et des régulations moins strictes, l’Amérique latine pourrait bien se convertir en une « Chine de la production et de la manufacture » du cannabis selon l’expert Triston Thompson. En effet, la région offre un avantage commercial incomparable pour les entreprises mondiales du cannabis.
Comparée à la production en intérieur, très gourmande en énergie, de la plupart des pays du Nord, les conditions météorologique naturelles d’Amérique latine offrent jusqu’à deux récoltes par an en extérieur, ce qui représente une économie de moyens considérable. Les coûts associés à la construction des installations de production sont estimés à 80 % moins chers qu’en Amérique du Nord et en Europe. A cela s’ajoute la main d’œuvre bon marché et la présence moindre de régulations.
Il y a fort à parier que la mondialisation du cannabis fera de l’Amérique latine le principal fournisseur de cannabis du monde. La Colombie s’est déjà engagée dans cette voie en octroyant 142 licences pour la culture et l’export du cannabis, dont plusieurs à des entreprises étrangères. L’Uruguay exporte déjà de l’huile de cannabis au Mexique et au Canada.
L’avantage commercial de la région ne se résume pas qu’à la production et à la transformation mais concerne également les structures d’exportations. Des pays comme le Brésil, le Chili et l’Argentine sont déjà de grands exportateurs de produits agricoles et possèdent d’ores et déjà les infrastructures nécessaires à la production, à la transformation et aux transports des produits agricoles. Néanmoins, seul le Brésil et le Mexique figurent parmi la liste des 25 exportateurs mondiaux les plus importants.
Malgré ces avantages, il existe des barrières à ce développement, notamment en termes de régulations commerciales pour l’exportation, d’accès au capital et d’options bancaires pour les entreprises, même si ces difficultés ne soient pas propres à l’Amérique latine. Plus spécifiquement, ce développement dépendra de la volonté politique des États de se lancer dans le marché mondial d’exportation du cannabis.
Cette situation peut représenter une aubaine pour les États de la région qui au travers de taxes d’importation peuvent créer de la richesse. En revanche, l’intégration des marché mondiaux et la présence d’accords de libre échange laissent présager que ce ne sera pas le cas. L’Uruguay et la Colombie ont déjà établi des accords de ce type avec le Canada et l’Europe concernant le commerce du cannabis. Sur ce point, la région peut représenter un danger pour les producteurs du Nord puisqu’au fur et à mesure que l’Amérique latine pénétrera le marché global, les prix baisseront et les producteurs du Nord devront ajuster leur prix pour rester compétitifs.