100 ans de prohibition française
Edito. C’est un triste anniversaire. Il y a tout juste 100 ans, le 12 juillet 1916, passait la loi « concernant l’importation, le commerce, la détention et l’usage de substances vénéneuses, notamment l’opium, la morphine et la cocaïne », qui pénalisait pour la première fois l’usage en société et la consommation personnelle.
Cent ans plus tôt, les campagnes napoléoniennes ont joué un grand rôle dans le développement de la consommation d’opium, partant de Chine, et de haschisch, ramené en France après la Campagne d’Egypte. L’opium est consommé dans des fumeries plus ou moins clandestines, d’abord à Toulon et Marseille, puis dans les villes portuaires de l’ouest de la France, et enfin à Paris et à Lyon. La capitale aurait compté jusqu’à 1200 fumeries en 1914. En 1912, la Convention de l’opium de La Haye appelle à renforcer la lutte contre le trafic d’opium et la nécessité pour chaque pays de se doter d’une législation restreignant l’usage des « narcotiques », et de contrôler la production et la distribution de l’opium, de la morphine, de l’héroïne et de la cocaïne.
La haute société utilise, elle, la morphine pour « tromper l’ennui » de ses longues soirées. La cocaïne et l’héroïne sont disponibles en pharmacie et utilisées médicalement pour traiter les douleurs ou pour anesthésier. Des dérives d’usage sont rapidement constatées, alors que ces deux substances sont rapidement remplacées par des produits de synthèse plus efficaces et moins dangereux.
1916, c’est aussi la Première Guerre Mondiale. En pleine guerre, les Gueules Cassées des Ardennes, de la Marne ou de Verdun, étaient soignées à la morphine et à l’opium, alors prescrits médicalement pour soigner la douleur. On assiste ici à des « épidémies » de toxicomanie chez les soldats démobilisés. Des rumeurs circulent aussi dans les tranchées, reprises par les journaux populistes de l’époque : les Allemands distribueraient de la cocaïne aux Français pour avancer plus rapidement. La coco devient alors la « drogue des boches », un danger pour les individus mais aussi pour la Nation.
En 1868, le Royaume-Uni légifère spécifiquement sur les stupéfiants, alors que les Etats-Unis adoptent le 17 décembre 1914 le « Harrison Act », la première législation restrictive sur l’emploi de substances stupéfiantes. La France se dote elle de sa propre législation le 12 juillet 1916, amendée du délit de « détention » le 14 septembre de la même année, puis renforcée en 1922 et 1939, pour créer la loi la plus restrictive d’Europe. Les substances prohibées sont inscrites dans trois tableaux A, B et C. Le tableau B est constitué des « stupéfiants », seulement définis par la liste suivante : « opium, extraits et poudre, morphine et ses sels, héroïne et ses sels, cocaïne et ses sels, haschich et ses préparations ». Elle punit les vendeurs, les pharmaciens accusés de fausse ordonnance et les consommateurs d’une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de 1000 à 10 000 francs.
Dans une thèse de droit soutenue en 1932, Adrien Aubry met en avant la portée liberticide de cette loi. En incriminant l’usage en société, l’Etat supprime les principes de liberté individuelle et de non-intervention des pouvoirs publics dans les choix de consommation personnels. La question avait d’ailleurs été soulevée lors de la préparation de loi de 1916, mais les parlementaires s’étaient inclinés au nom de la « nécessaire répression » et des « attentes légitimes de l’opinion publique ».
Autre contestataire, Antonin Artaud dans sa « Lettre à Monsieur le législateur de la loi sur les stupéfiants ». Il dénonce tardivement (en 1925) la loi, et surtout le fait qu’un toxicomane arrivera toujours à se fournir, même si la substance est interdite.
Alors que le XIXème siècle avait été celui des découvertes par l’Occident des substances « stupéfiantes », le XXème sera donc celui de leur radiation. En France, la loi du 31 décembre 1970, est la digne héritière de la loi de 1916. Elle se place sous le signe de la lutte de la toxicomanie et installe un double-système de mesures coercitives. L’usager est considéré comme un délinquant et un malade, et est passible d’un an de prison pour usage simple. Elle sanctionne également la production, la vente et la cession de stupéfiants. Et n’aura été finalement que le cache-misère du développement de la French Connection et du commerce illégal de l’héroïne dans les années 70.
La France n’a pas su plus que les autres pays occidentaux endiguer le trafic de drogue. Il est même aujourd’hui plus grand que jamais, alors que les Douanes se félicitent jour après jour de leurs saisies. Malgré les lois de 1916 et de 1970, la France est aussi le pays européen qui consomme le plus de cannabis. Il serait finalement temps de se rendre compte de l’ineptie de ces lois et de la nécessité de les réformer à la lumière des usages modernes, des expériences étrangères et des avancées scientifiques.
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